QUESTION DE JUSTICE

Redéfinir le viol par référence expresse au consentement de la victime ou la fausse bonne idée

La cause majeure de la lutte contre les violences sexuelles au premier rang desquelles le viol, suscite et sans surprise un concours Lépine des idées, toutes évidemment empreintes des meilleures intentions, celles-là même dont l’enfer est parait-il pavé.


De cette imagination, ne retenons que l’expression d’une inquiétude sociale prégnante, à laquelle prend toute sa part une autorité judiciaire souvent frustrée de son inefficacité relative.

Comme souvent, la réflexion se concentre davantage sur les aspects juridiques que sur la dimension pratique et opérationnelle des choses, dont pourtant dépend l’efficacité de cette mission.

Les capacités de jugement des cours criminelles et des cours d’assises, la raréfaction des experts psychiatres et psychologues, la surpopulation carcérale et l’absence de dispositifs de prise en charge sont et demeurent les frontières invisibles sur lesquelles se fracasse encore la recherche d’une plus grande efficacité.

On peut ainsi regretter que la compétence de principe des cours criminelles pour connaitre de la plupart des crimes de viol ait été maintenue tant l’éloignement du peuple qui en est la conséquence nuit à la connaissance du phénomène et à sa répression.

On ne peut aussi que déplorer l’absence d’un véritable plan de sauvetage des cours d’assises et cours criminelles confrontées à une crise sans précédent du point de vue de leurs capacités de jugement.

Dans ce contexte, le débat sur la redéfinition du viol prend une dimension surréaliste, préfigurant une possible réforme hors-sol, totalement déconnectée des attentes d’une société qui ne peut se satisfaire des limites de sa justice dans ce domaine.

On rappellera que la réforme résulterait d’un projet de directive européenne actuellement en cours d’examen et qui conduirait à énoncer que le viol est une relation sexuelle dépourvue du consentement de la victime, comme tel est déjà le cas dans le droit de certains Etats de l’Union, dont la Belgique.

La réécriture du texte sur cette base substituerait ainsi aux actuels éléments définissant l’absence de consentement dans notre droit ( menaces, violences, contrainte ou surprise) un standard plus général qui nécessairement ferait référence à ces différentes techniques de forçage de l’accord aux relations sexuelles.

On comprend aisément l’intérêt politique et optique consistant à afficher une définition commune du viol au sein de l’Union, à mettre en avant une absence de consentement qui en effet marque l’atteinte à la liberté de la personne produite par le viol, au-delà de l’atteinte grave à son intégrité physique et morale.

On aurait toutefois grand tort de sous-estimer ce qu’une telle réforme induirait en terme d’équilibre pour le procès criminel ouvert du chef de viol. Ce procès a déjà ceci d’original et choquant d’interroger en première intention et à 360 degrés le comportement et le consentement de la victime.   Quelle provocation a-t-elle ou non exprimée par son langage même corporel pour que l’agresseur se sente agrée ou conforté dans ses intentions ? Cette question explicite ou implicite a envahi les prétoires sans les quitter à l’époque post-moderne.

Si dans son principe, cet axe méthodologique n’est pas inconcevable, sa mise en œuvre l’est davantage tant est fréquent le sentiment d’assister au procès de la victime plutôt qu’à celui qui est son agresseur suspecté au-delà de ce qui est nécessaire. Les stéréotypes étant vivaces, la victime de viol se voit invitée voire sommée à s’expliquer sur le fait qu’elle se soit débattue ou pas et d’en justifier, sans préjudice de l’analyse purement morale et partant scandaleuse des modes de vie des victimes.

Si demain le consentement, et le défaut de consentement étaient le critère générique du crime de viol comme du délit d’agression sexuelle, on ne pourrait que craindre que le déséquilibre et l’inversion du procès criminel pourraient n’être qu’aggravés.

Les standards actuels définissant le défaut de consentement ont encore pour avantage de partir du comportement du suspect, de l’accusé ou du prévenu.  L’office du juge dans la définition actuelle du viol est de répondre à la question suivante : A-t-il été menaçant, violent, contraignant ou surprenant pour obtenir une relation sexuelle ?

Le standard du défaut de consentement s’il était validé, inverserait davantage encore la mission du juge qui sera ainsi conduit à orienter ses investigations vers la victime en première intention. « Comment avez-vous dit non, Madame ? ». On imagine les limites évidentes d’une question qui permettra toujours de soutenir et parfois de retenir que l’énoncé du consentement n’a pas été clair et compris d’un agresseur.

Exiger la preuve d’un comportement menaçant, violent, contraignant ou de surprise présente l’avantage de demeurer aussi proche que possible de celle d’un comportement tangible, celui de l’auteur potentiel et ainsi de maintenir à leurs places respectives, les acteurs du procès pénal, le juge notamment, mais surtout la victime de viol, trop souvent transformée en coupable paradoxale.

Il est encore temps d’y renoncer, dans l’intérêt bien entendu d’une justice qui a les moyens de discerner un défaut de consentement dans la violence ou la ruse à l’égard des femmes.

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